Les prédécesseures de Kamala Harris, dont Geraldine Ferraro, lui ont ouvert le chemin
MONTRÉAL — Kamala Harris réussira-t-elle à se hisser là où aucune autre femme n’a mis le pied? Difficile de prédire ce qui arrivera mardi lors de l’élection présidentielle, mais peu importe le résultat, la vice-présidente et candidate démocrate a déjà marqué l’histoire, comme l’ont fait toutes ses prédécesseures qui ont pavé son chemin.
1984. Plus de 60 ans après l’obtention du droit de vote par les femmes, une première apparaît dans la course présidentielle. Geraldine Ferraro est devenue la première candidate à la vice-présidence d’un parti majeur: le Parti démocrate. Elle apparaît sur le ticket aux côtés du candidat Walter Mondale.
Mme Ferraro est loin de vivre une lune de miel après cette nomination, qui était motivée entre autres par des raisons stratégiques.
«Dans les années 1980, à ce moment-là, c’est la première fois que les femmes votent plus que les hommes, donc on se rend compte qu’il y a un électorat à aller chercher, à séduire», a rappelé Karine Prémont, professeure à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke.
«Ça faisait partie des intérêts que (M. Mondale) avait aussi d’élargir le spectre», a ajouté Mme Prémont, qui est aussi directrice adjointe de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal.
À l’époque, sa candidature ne fait pas que des heureux, dont au Parti démocrate, et cela va se ressentir dans la couverture médiatique.
«Elle a été impliquée dans différents scandales qui avaient trait à son mari, aux avis financiers de son mari», a rappelé Farida Jalalzai, professeure de science politique à l’Institut polytechnique et université d’État de Virginie, Virginia Tech.
«Quand on pense à la couverture médiatique des femmes, on pense à elle, car beaucoup de la couverture avait trait à ses relations personnelles.»
Mme Jalalzai, qui est spécialisée dans le rôle du genre en politique, rappelle que Mme Ferraro s’était fait demander en débat «si elle serait assez forte pour pousser le bouton (nucléaire)».
«C’est emblématique des types des questions auxquelles les femmes sont confrontées, a-t-elle expliqué. Ils font allusion au fait qu’elle serait peut-être faible, car elle est une femme.»
«La presse était très dure avec moi, surtout les hommes blancs. C’était presque comme passer un examen sur la politique étrangère (…) Je pense qu’une partie de cela, c’était absolument du sexisme, c’est sans équivoque», avait-elle confié en entrevue avec le «New York Times» en 2007.
M. Mondale et Mme Ferraro finissent par subir une défaite cinglante, remportant seulement 13 des 525 votes du collège électoral contre Ronald Reagan et George H. W. Bush. Et à l’époque, c’est en partie la candidate à la vice-présidence qui est montrée du doigt.
Une longue absence
Selon Farida Jalalzai, cette expérience et le résultat de l’élection présidentielle ont certainement influencé le fait que peu de femmes aient aspiré aux plus grandes fonctions aux États-Unis dans les décennies suivantes.
Il faudra attendre plusieurs années pour voir des candidatures de premier plan, dont Elizabeth Dole, candidate à l’investiture républicaine en 2000. Et encore là, Mme Dole s’est retirée avant les primaires.
Pour revoir une femme sur le ticket présidentiel, il faudra attendre Sarah Palin, en 2008, qui avait été choisie colistière du candidat républicain John McCain. Un peu plus tôt, la démocrate Hillary Clinton avait perdu l’investiture démocrate contre un certain Barack Obama.
Et même plusieurs années plus tard, ces femmes doivent encore gérer une couverture très genrée, axée sur l’apparence physique, leurs qualités personnelles et leur vie personnelle, souligne Mme Prémont.
Kamala Harris a réussi en 2020 ce que plusieurs avant elles ont échoué: celle de devenir la première femme vice-présidente. Et elle aspire maintenant à la plus haute fonction.
Un contexte pas si différent
Est-elle dans un contexte moins hostile, alors que les femmes sont maintenant plus présentes en politique? Mme Jalalzai note plusieurs améliorations, mais certaines choses restent.
«Quand je regarde le curriculum vitae politique de quelqu’un comme elle (Kamala Harris) et Donald Trump, je me demande: « Comment ça peut même être en général un concours »?», a-t-elle avancé.
Et encore aujourd’hui, les femmes ont peu de marge de manœuvre. «Les femmes doivent être fortes, mais pas trop fortes (…) On ne doit pas être trop émotive, mais on veut aussi être aimable», ajoute-t-elle.
Elle rappelle un épisode de campagne de Hillary Clinton en 2008, alors qu’elle avait montré ses émotions lors d’un arrêt de campagne au New Hampshire. Une électrice lui avait demandé: «Comment faites-vous? Comment faites-vous pour rester optimiste et si merveilleuse?»
«J’ai tellement d’opportunités pour ce pays. Je ne veux juste pas nous voir basculer en arrière, vous savez?», avait répondu Mme Clinton, la voix visiblement étranglée par l’émotion.
À l’époque, cela avait fait beaucoup jaser. Voici comment le quotidien britannique The Guardian parlait de ce moment: «C’était le moment décisif de la course électorale du New Hampshire: Hillary Clinton, la reine du contrôle glacial du Parti démocrate, se sentait submergée d’émotion.»
Karine Prémont croit elle aussi que certaines choses n’ont pas changé, rappelant que le rire de Kamala Harris a fait l’objet de beaucoup de discussions. Son adversaire républicain l’a d’ailleurs déjà surnommée «Laughing Kamala» («Kamala qui rit»).
«On lui reproche des choses qui sont un peu hors de son contrôle. Elle rit trop, elle rit trop fort, elle rit d’une telle façon plutôt que telle autre», a-t-elle expliqué.
«Je pense que tant que ce ne sera pas chose faite (qu’une femme soit élue), ça va être difficile de penser que les Américains sont prêts ou sont passés à autre chose», a-t-elle ajouté.