Les accents français et québécois ont pris des chemins différents
ACCENTS. Si ce sont des Français qui ont colonisé le Québec, comment expliquer la différence d’accent entre les deux peuples aujourd’hui?
Qu’on soit en plein Paris ou à Montréal aux 17e et 18e siècles, le français qui a cours dans les rues est sensiblement le même. On y entend «sus la table», «note maison», «sarge» et «fret», au lieu de «sur la table», «notre maison», «serge» et «froid». Mais que s’est-il passé ensuite?
Phonéticien de formation et professeur à l’Université Laval de Québec, Jean-Denis Gendron s’est penché sur la question dans quelques ouvrages, dont son essai D’où vient l’accent des Québécois?.
Selon ce dernier, la rupture des liens entre le Canada et la France en 1760 serait à l’origine du changement, puisque jusqu’alors, l’accent utilisé dans les deux pays était le même.
Il aurait été sensiblement similaire jusqu’en 1789, année de la Révolution française. À ce point, que les voyageurs de passage au Québec encensent le bon parler québécois comme l’explique l’auteur.
«Il n’y a pas d’accent au Canada, disaient les pères Le Clercq (1691) et Charlevoix (1720). Cet accent est aussi bon qu’à Paris, ajoutait en 1757 le comte de Bougainville. Le concert des éloges sur le bon accent des Canadiens est constant et unanime. Même chez les étrangers.
«Le botaniste suédois Pehr Kalm, qui séjourne à Québec et à Montréal en 1749, en témoigne, poursuit l’auteur dans son ouvrage. Tous, ici, tiennent pour assuré que les gens du commun parlent ordinairement au Canada un français plus pur qu’en n’importe quelle Province de France et qu’ils peuvent même, à coup sûr, rivaliser avec Paris.»
Révolution phonétique
Le changement survient avec la Révolution française. Toute la société est bouleversée, jusque dans sa langue. Le français de Paris se transforme en abandonnant sa prononciation traditionnelle alors que la noblesse s’efface et que la bourgeoisie accède au pouvoir amenant avec elle une nouvelle façon de parler et de prononcer.
En moins de 50 ans (1760-1810), l’écart se creuse rapidement avec le Canada. Si bien qu’au retour des communications entre les deux pays, tout a basculé. Dès 1829, les voyageurs français envoient un son de cloche bien différent en qualifiant l’accent des Canadiens de «déplorable».
Piquée dans son orgueil
L’accent québécois se modernisera dès 1841, à la suite de la publication d’un manuel de français de l’abbé Thomas Maguire. Piquée dans son orgueil et se sentant déclassée par la France, l’élite québécoise met en œuvre un enseignement de la prononciation plus soignée dans les collèges, surtout pour la parole en public, avec espoir qu’elle se transforme aussi dans le discours privé.
D’abord enseignée, puis diffusée à la radio et la télévision notamment à Radio-Canada, elle devient la norme dès 1960. Malgré tout, même modernisé, l’accent québécois n’est plus le même que celui des Français, comme c’était le cas à l’époque de la Nouvelle-France.
Un même français
Le français utilisé au temps de la Nouvelle-France (17e et 18e) est le même ici qu’en Europe. Le changement s’opérera en France avec la Révolution française de 1789. Avant cette date, l’élite comme le petit peuple des deux côtés de l’Atlantique prononcent ainsi certains mots:
-Pére (Père)
-Gloére (Gloire)
-Nâtion (Nation)
-Yâb (Diable)
-Accrére (Accroire
-França (Français)
-Mécredi (Mercredi)