Une entreprise de construction à vocation sociale

NUNAVIK.  Choqué de la façon dont les entrepreneurs en construction allochtones traitent la main-d’œuvre locale au Nunavik, un Shawiniganais a fondé ce printemps la Coopérative de solidarité Ikajurtigiit, une entreprise d’économie sociale composée majoritairement de jeunes Inuits.

La première journée où il a mis les pieds au Nord-du-Québec au printemps 2012, Patrick Payette s’est mis à compter les jours qui le séparaient de son retour. « Mais dès la deuxième semaine, je me suis dit : Wow. Plus jamais je ne vais travailler au sud. Le nord s’était installé dans mon cœur », se rappelle-t-il.

Il n’a suffi que quelques mois au Shawiniganais pour constater que les tâches confiées aux Inuits sur les chantiers de construction équivalaient à ce qu’on appelle communément du cheap labor. « Personne ne passait du temps à essayer de les former, à les former. On leur donnait les jobs que les ouvriers blancs ne voulaient pas faire comme nettoyer le site ou poser l’isolation », déplore-t-il.

Le projet de créer une coopérative de travailleurs germait dans son esprit depuis longtemps, mais ce n’est que dans les derniers mois qu’il l’a matérialisé. À partir de 2018, Patrick Payette alternait entre son travail sur les chantiers – il avait lancé sa propre compagnie de construction – et un poste de formateur auprès des jeunes Inuits. « C’était un mandat du gouvernement régional du Nunavik. Comme un cours d’introduction à la construction. J’ai contacté mes meilleurs élèves et je leur ai demandé si ça les intéressait de continuer leur formation, mais en même temps, d’avoir une job. »

Aidons-nous tous ensemble

La Coopérative de solidarité Ikajurtigiit – mot en langue inuit signifiant Aidons-nous tous ensemble – compte une dizaine de membres travailleurs, dont 75% sont des Nunavimmiuts (Inuits du Nunavik). « Il a fallu que je leur explique qu’ils ne seraient pas des employés, mais des membres et que les décisions seraient prises en groupe.  La coop a été pensée selon leurs besoins. Ils ont une saison de pêche et une saison de chasse. Ça fait partie de leurs traditions. Alors, on a ajouté des congés pour ces périodes », explique Patrick Payette qui a dû parallèlement convaincre les Inuits de la sincérité de sa démarche.

« Ils étaient méfiants et croyaient que je voulais faire une passe d’argent, concède le Shawiniganais qui a néanmoins réussi à gagner leur confiance. Le gouvernement régional du Nunavik nous a dit que c’était le plus beau plan d’affaires déposé par une compagnie inuite en 40 ans. On vient de signer avec eux deux contrats de près de 1,5 million$ pour rénover des HLM. »

De leur côté, les entrepreneurs blancs regardaient la démarche de Patrick Payette avec un haussement d’épaules. « Ils me disaient :  »Tu ne réussiras pas à les sauver. Ça ne marchera pas, ils ne se présenteront pas sur les chantiers. » J’ai eu droit à tous les bons stéréotypes, mais c’est drôle, des problèmes de présence, je n’en ai pas eu ou presque. Ils sont impliqués parce qu’ils se sentent importants et considérés. »

Des coopératives d’habitation?

Ironie de la situation, ces mêmes entrepreneurs contactent Patrick Payette aujourd’hui pour demander de leur prêter ses employés parce que leurs contrats conclus avec le gouvernement régional contiennent une clause d’embauche de main-d’œuvre locale. « On est déjà très occupé par nos propres mandats et même si je voulais, les Inuits ne vont pas vers ces compagnies-là parce qu’ils savent comment ils seront traités. »

Dans les prochains mois, Patrick Payette veut implanter des coops d’habitation, un concept inconnu au Nunavik, mais qui cadrerait bien avec leur culture croit-il. Le Shawiniganais veut réunir des experts en coopérative d’habitation, des architectes capables de penser en dehors de la boîte et des spécialistes en culture inuite pour aller à la rencontre des populations locales.

« Je veux que la Coop de solidarité Ikajurtigiit soit une entreprise complète. Qu’on s’implique dans l’autodétermination des Inuits, principalement en habitation et en création d’emplois dans le domaine de la construction. Je viens d’avoir 50 ans et je suis dans une étape de ma vie où mon travail doit avoir une signification. C’est hyper important pour moi », termine Patrick Payette.

Situé dans le nord du Québec, le Nunavik compte environ 14 000 habitants répartis dans 14 communautés, dont la principale est Kuujjuaq.