Barbier, mémoire du temps

CHRONIQUE. Le Barbier du Salon Des Hêtres est aussi connu dans son quartier à Shawinigan que le Barbier de Séville, opéra comique présenté à des comédiens italiens en 1772, peut l’être pour les mélomanes de la planète. Avec plus de 56 ans de métier, l’aimable, courtois et très réservé barbier Régent Doucet vous accueille à son salon du 3802 du boulevard Des Hêtres depuis près d’un demi-siècle. Ses ciseaux et son peigne virevoltent dans la chevelure de sa clientèle comme un couple de danseurs aguerris soumis à une chorégraphie capillaire lors d’une compétition sur la piste du prestigieux théâtre du Mieux-Paraître.

Vous vous présentez à son atelier, sans rendez-vous, comme un cheveu sur la soupe, son accueil est toujours amical. Il est un homme de sobriété et de tempérance, vous ne risquez jamais de le surprendre à avoir mal aux cheveux. C’est aussi un homme à l’esprit ouvert, ouvert à toute discussion sur tous les sujets d’actualité. Il n’est pas du genre à couper les cheveux en quatre. Son élocution est facile, il ne risque pas d’avoir un cheveu sur la langue, encore moins de zozoter. C’est un homme de douceur, ses arguments ne vous feront jamais dresser les cheveux sur la tête. Son humeur est stable, il ne tient pas qu’à un cheveu. Sa phobie restera toujours de trouver un cheveu dans sa soupe. Quant aux décorations de Noël, les cheveux d’ange l’impressionnent particulièrement. Enfin, Régent n’est pas du genre à se faire des cheveux blancs pour tout et pour rien, il préfère les couper. Les histoires qu’il vous raconte ne sont pas tirées par les cheveux parce qu’il se veut homme de subtilité, de savoir-plaire mais surtout de savoir-faire. Jardinier à ses heures libres, il cultive, à la maison, la fougère tropicale aux fins pétioles noirs nommée cheveu-de-Vénus.

Barbier de la famille Perreault

Personnellement, Régent est mon barbier depuis la belle époque de la défunte Aquatek de la 44ième Rue dans la paroisse de l’Assomption, soit 1968. Feu mon grand-père Edgar, tous mes oncles et cousins demeurant dans les environs ainsi que mon fiston Bryan Perro ont bénéficié de ses compétences. Mieux encore, son salon de barbier qui lui permet de gagner sa vie présentement fut jadis la chambre à coucher de ma marraine Rita Perreault-Lafrenière de regrettée mémoire qui était propriétaire de cet immeuble. Quelques années suivant la transaction immobilière, tante Rita se présenta à l’atelier de Régent pour faire couper les cheveux au puiné de ses enfants, François. C’est alors que cette dévote marraine lui servit cette hilarante boutade: «Vous savez, monsieur Régent, jamais je n’aurais pensé que tant d’hommes auraient passé dans ma chambre à coucher».

Barbier, une affaire de famille

Régent Doucet est natif de Louiseville et résident de Shawinigan depuis l’âge de trois ans. Il est marié à Jeannine Trudel. Le couple s’est donné une fille prénommée Diane. À 18 ans, Régent quitte la région pour y suivre un cours de barbier de l’École Moreau de Montréal. Il aura été influencé par son père Omer et son oncle Arthur qui étaient tous les deux des barbiers reconnus. Avec humour, Régent dira: «Ils n’ont pas voulu m’enseigner le métier mais après mon cours à Montréal, je les ai recyclés». De 1958 à 1965, il travaillera avec son père, remplacera son oncle à Trois-Rivières pour revenir s’établir à Shawinigan le 30 mars 1965, date de l’ouverture officielle de son propre salon de barbier-coiffeur pour homme le Salon Des Hêtres. Il possède d’ailleurs avec une grande fierté, le pamphlet publicitaire de ce lancement d’affaire. Les frères de Régent, Robert et Roger furent barbiers. Robert a pris sa retraite tandis que Roger œuvre toujours, rue St-Marc à Shawinigan. Pour sa part, la sœur de Régent, Pierrette aura épousé un barbier.

En début de carrière, une coupe de cheveux coûtait 65 cents pour un adulte et 5 cents pour un enfant. Les frais d’une barbe, 50 sous, à l’époque où un pain valait 7 cents et que pour aider à livrer à domicile le pain James Trahan on était payé 10 sous par jour de travail.