La culture de performance a pu contribuer aux enjeux suicidaires d’étudiants
MONTRÉAL — L’Observatoire sur la santé mentale étudiante en enseignement supérieur (OSMÉES) constate que la culture de performance à l’école exacerbe l’anxiété vécue par de nombreux étudiants. Il préconise un virage dans les méthodes d’enseignement et la façon de noter les élèves.
L’OSMÉES est une initiative qui découle du Plan d’action en santé mentale étudiante en enseignement supérieur du ministère de l’Enseignement supérieur 2021-2026. L’Observatoire a analysé des rapports de coroners des décès par suicide de personnes étudiantes universitaires au Québec de 2014 à 2021. Il a constaté que la culture de performance est présente et bien enracinée dans certains programmes universitaires et que les coroners l’ont identifiée comme une cause à ne pas négliger.
«Dans les cégeps et les universités c’est très présent, l’anxiété de performance, particulièrement dans les programmes où il y a un accent sur la performance, par exemple dans les programmes de médecine, au cégep dans les programmes de sciences pures où plusieurs des personnes étudiantes aspirent à des programmes contingentés à l’université. Ça crée des dynamiques de compétition et d’anxiété de performance importantes», analyse la codirectrice de l’OSMÉES, Julie Lane.
«Certains rapports de coroner pointent la culture de performance qui est bien présente dans certains programmes universitaires comme ayant pu contribuer aux enjeux suicidaires des personnes étudiantes», précise-t-elle.
Les plus récentes données sur la santé mentale des étudiants montrent aussi que la proportion des personnes qui déclarent vivre beaucoup de détresse psychologique a doublé chez les étudiantes collégiales, passant de 18 % avant la pandémie à 36 % post-pandémie. Ce taux a presque triplé chez les étudiants collégiaux, augmentant de 9 % à 26 %.
Du côté universitaire, selon une enquête de 2021 de l’Union étudiante du Québec et de la Fédération des associations étudiantes universitaires québécoises en éducation permanente, 51 % des étudiants ont indiqué avoir ressenti que leur niveau de détresse psychologique a augmenté pendant la pandémie.
«Ce n’est pas d’hier qu’on voit des enjeux de santé mentale chez les personnes étudiantes en enseignement supérieur, mais également chez des plus jeunes, dès le secondaire», a commenté Mme Lane.
Elle indique qu’éprouver de l’anxiété est quelque chose de normal. Elle décrit l’anxiété comme l’anticipation de ce qui s’en vient et d’être inquiet par rapport à cela. Les symptômes de l’anxiété comprennent des palpitations cardiaques, des maux de ventre et de l’insomnie.
«Quand on parle de niveau d’anxiété très élevé, c’est que ça devient régulier, chronique et que la personne anticipe des scénarios catastrophes. En enseignement supérieur, on parle par exemple d’une personne qui est convaincue qu’elle va échouer ses examens. Elle anticipe toutes sortes de scénarios qui ne sont pas arrivés, mais son corps réagit comme si ça arrivait», explique Mme Lane, qui est également professeure agrégée spécialisée en transfert des connaissances et en science de l’implantation au Département d’études sur l’adaptation scolaire et sociale à la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke.
Revoir la façon d’évaluer les étudiants
Selon une enquête panquébécoise datant de novembre 2019 sur la santé psychologique étudiante de l’Union étudiante du Québec, trois fois plus d’étudiants ont des idéations suicidaires que la population générale et deux fois plus ont fait des tentatives de suicide.
Mme Lane soutient que les troubles de santé mentale des étudiants peuvent être liés à la culture de performance. Elle nuance toutefois que tout enjeu de santé mentale, comme l’anxiété de performance, est causé par plusieurs facteurs. «Donc, il faut avoir une approche systémique pour venir contrer ces enjeux et venir agir à tous les niveaux du système», dit-elle.
«Il y a vraiment une prise de conscience collective et un mouvement où de plus en plus de programmes historiquement très orientés vers la performance se rendent compte que ça ne fonctionne plus et doivent revoir les façons d’évaluer et les façons d’enseigner», a déclaré Mme Lane.
Elle donne l’exemple d’un enseignant qui, au début de l’année scolaire, avertit ses étudiants que la majorité vont échouer son premier examen. Bien que l’objectif soit de les motiver, ce genre de discours génère de la peur et de l’anxiété, explique-t-elle.
«Il faut outiller les personnes étudiantes à mieux comprendre ce que c’est l’anxiété et à composer avec cette anxiété. Et il y a des approches, comme la thérapie cognitivo-comportementale réputée efficace pour aider les personnes étudiantes à bien composer avec l’anxiété, mais ce n’est pas suffisant. Il faut également sensibiliser le personnel enseignant, les responsables des programmes, à insuffler un petit peu de bienveillance dans cette culture de performance, parfois même de revoir la façon de noter les personnes étudiantes», prône la spécialiste.
L’OSMÉES a notamment pour but de faire de la recherche pour identifier les pratiques d’enseignement qui contribuent à la réussite et à la santé et au bien-être des étudiants. Des recommandations pourraient éventuellement découler en ce sens.
L’Observatoire lancera lundi prochain sa première enquête nationale qui se déroulera jusqu’au 20 novembre à travers le Québec. Il espère augmenter le taux de participation des élèves comparé à d’autres enquêtes similaires et pouvoir faire des portraits spécifiques de leur réalité aux établissements d’enseignement supérieur.
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Si vous pensez au suicide ou vous inquiétez pour un proche, des intervenants sont disponibles en tout temps au 1 866 APPELLE (1 866 277-3553), par texto (535353) ou par clavardage à suicide.ca.
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